NOTRE GATEAU DE PAQUES
LA MONA

Ce gâteau de Pâques qui réveille tant de bons souvenirs parmi les Oraniens, a toujours été désigné, chez nous en milieu hispanophone par le mot mona. L’appellation mouna n’étant qu’un accommodement à la française.

Dans les faubourgs populaires de Sidi-Bel-Abbès et des autres villes d’Oranie, l’authenticité du mot mona était jalousement préservée de génération en génération.

Le peuple Oranien avait certes des racines métropolitaines, régions d’Alsace Lorraine, Languedoc, Alpes de Provence, Sud-Ouest,  Corse, Paris, des racines italiennes, napolitaines essentiellement, mais aussi des racines espagnoles, régions des Iles Baléares, de Valence, d’Alicante, de Murcie et d’Alméria. La colonie ibérique constituait, à elle seule, plus de la moitié de la population européenne.

Pour en revenir à notre gâteau, on nous propose dans les grandes surfaces, à l’approche de Pâques, des mounas, bien sûr, étiquetées de la façon suivante : « Pâtisserie méditerranéenne ». Pour les besoins commerciaux, l’amnésie est ici totale. De la mona espagnole, honorée en Oranie, nous passons allègrement à la mouna de tout un bassin méditerranéen.

Alors ! Quelles sont les origines de ce gâteau ?

Si on raisonne à partir du mot mouna, on se perd en conjectures. On affirme alors, sans rire, que les Oranais allant fêter le lundi de Pâques sur les pentes boisées du fort Lamoun, baptisèrent ce gâteau ‘mouna’ par analogie avec le lieu habituel de leurs réjouissances. Or les adeptes de ce pique-nique étaient à 90% des hispanophones ou descendants d’hispanophones. Ils savaient  très bien, eux , qu’à l’heure du dessert, ils mangeaient la mona de leurs parents ou grands-parents. Ce serait les traiter avec beaucoup de légèreté que de leur faire injustement endosser la paternité du mot mouna.

Que dire alors de l’immense majorité des gens de Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Ain-Témouchent, Saint-Denis du Sig, Perrégaux, Mostaganem, Mascara, Saïda, Tiaret, etc qui de père en fils ont pétri et dégusté des monas et qui n’ont jamais entendu parler du Fort Lamoun Oranais.

Une autre explication, aussi fantaisiste que la précédente, établissait une relation entre le nom du gâteau, mona, et des morceaux de brioches que les prisonniers du Fort balançaient aux singes du haut de leurs fenêtres. Certes, si l’on  appelle , en espagnol, mona, la guenon à queue courte, le mot a ici une étymologie totalement différente.

Même remarque pour ceux qui pensent que ‘mico’ signifie une petite mona, gâteau.

La confusion vient de ce petit travers de plaisantins qui illustrait souvent notre discours, un peu à l’instar des Andalous. Nous aimions beaucoup faire usage de jeux de mots , de mots équivoques, de traits d’esprit. Ce que les Espagnols appellent « un chiste» ou  bien « una broma»

Ainsi lorsqu’un enfant peu sage demandait à sa maman qu’elle lui fît des monas, celle-ci , agacée, lui répondait souvent : « Oui ! C’est ça, je vais te faire des monas  et des micos ». Les « micos »désignant une autre variété de singes, à queue longue celle-la. Il s’agissait bien sûr d’un jeu de mots. La maman, peu encline à lui être agréable, ne pensait ici qu’aux deux variétés de singes.

Pour ceux qui faisaient la fine bouche ou qui n’appréciaient pas assez cette pâtisserie, il était de bon ton de leur dire :  « Si tu n’aimes pas les monas, eh bien , mange des micos ». Encore une plaisanterie où l’on propose à l’interlocuteur de croquer une seconde variété de singe, en feignant de comprendre qu’il n’aimait pas la première. On joue ici sur le double sens du mot mona.

Pour conclure, j’ajouterai qu’il était courant de dire chez nous d’une personne laide, qu’elle ressemblait à un « mico ». Nous ne faisions alors nullement allusion à une petite brioche. C’était bien à un singe que nous pensions.

Ainsi donc, notre mona et son caractère sacré , symbole pour nous de Résurrection, aura reçu, d’une part, un baptême païen sur les flancs d’une colline oranaise et se sera vu, d’autre part, malicieusement rattachée au monde des singes . Chacun appréciera à sa façon le sérieux  de la chose.

En fait, dans les quartiers populaires, très hispanophones,  des villes d’Oranie, ce gâteau de Pâques, « religieusement » préparé durant la semaine sainte, était appelé mona, avec l’accent tonique sur le ‘o’ de la première syllabe.

Ce sont en effet les Espagnols des provinces de Valence et d’Alicante qui ramenèrent chez nous, dans leur panier en osier [cabassette], à partir de 1850 environ, cette pâtisserie, adoptée ensuite par toute la communauté ibérique.

Le dictionnaire de la « la Real Academia »de langue espagnole définit ainsi le mot mona (je traduis) : gâteau brioché souvent orné d’un œuf, cuit au four, que l’on mange à Pâques le jour de la Résurrection. Le dictionnaire étymologique précise que mona, gâteau, vient de l’arabe littéraire « mu’na » signifiant «  provisions-vivres ».

Les gens des provinces d’Alicante et de Valence avaient coutume, le lundi de Pâques, d’aller manger sur l’herbe à la campagne. Ils préparaient, au feu de bois, un riz au poulet et au lapin, les fruits de mer n’étaient pas à la portée de toutes les bourses, ou bien des gazpachos manchegos, galettes émiettées mijotant dans un jus de viandes très  variées, du gibier si possible, préalablement rissolées avec tomate, ail et oignon.

 A l’heure du dessert, ils faisaient alors honneur à la mona.

Blasco Ibañez, célèbre écrivain et enfant du Levant espagnol, a admirablement bien immortalisé ces sites charmants de la Huerta, plaine fertile, valencienne . Les champs d’orangers, la Albufera, véritable Camargue, et les bois en bordure de mer , se prêtaient à merveille à cette célébration.

Cette coutume fut ensuite perpétuée, par l’immigration espagnole, dans tous les coins d’Oranie où  le lundi de Pâques fut communément appelé  « el día de la mona », le jour de la mona.

Le mot mouna est apparu dans les récits des premiers chroniqueurs métropolitains, venus chez nous pour rendre compte, aux gens de l’hexagone, de ce qui se passait dans la colonie. Peu hispanophones sans doute ou pas assez curieux, ils débaptisèrent par erreur notre mona. Elle perdit son accent tonique, très espagnol , sur le ‘o’, on rajouta un ‘u’ et la prononciation se fit plus française par déplacement de l’accent sur le ‘a’ final (mouná).Si les hispanophones restèrent fidèles, jusqu’en 1962, à leur mona, les autres communautés, surtout dans l’Algérois et le Constantinois adoptèrent la mouna.

A propos, avez-vous remarqué que nos « mantecaos » ou « mantecados » , ces genres de sablés saupoudrés de cannelle, formés à partir du mot « manteca », graisse de porc, apparaissent dans les grandes surfaces sous le nom de « montecaos » ? Pour quelle raison la lettre « o » s’est-elle substituée à la lettre « a » ? Serait-ce les prémices d’une explication rocambolesque à venir ? Eux aussi nous venaient de la péninsule voisine. C’est en réalité , la graisse de porc mise à part, un très ancien legs arabe.

Alors ! Me direz-vous , mona ou mouna ? Pour moi le choix est fait, je m’en tiens à l’authenticité. Tant que Dieu me prête vie, je continuerai de déguster les monas que ma femme me prépare chaque année au temps pascal et, ce faisant, à la manière de Proust savourant sa madeleine, je verrai défiler dans ma mémoire ces merveilleux souvenirs de notre Oranie.

Je sais que dans l’hexagone, on trouve tout de même quelques boulangers pâtissiers qui en font de délicieuses. La plupart d’ailleurs sont de chez nous ou apparentés à notre grande famille.

Chacun choisira l’appellation qui lui plaira, bien sûr.

Ce qui est par contre difficile à admettre, c’est cette amnésie au moment d’établir  la vérité des choses. Un peu comme si, voulant gommer des racines culturelles déplaisantes, on remettait les pendules à zéro. Tout devant s’expliquer chez nous, comme dans une germination spontanée, à partir de 1830.

Or nos  grands-parents n’étaient pas tombés du ciel. Ils étaient arrivés  de la péninsule voisine, avec une langue, une culture, des coutumes. Ce serait leur faire honneur que de ne jamais l’oublier.

Si on veut d’ailleurs analyser ou comprendre la personnalité , les us et coutumes du peuple d’Oranie, il faut prendre aussi en considération l’apport de la communauté d’origine hispanique. La fantaisie et la dérision ne sont sûrement pas les moyens les plus appropriés pour le faire.

Je crois que chez nous les gens ne se prenaient pas très au sérieux et aimaient bien rire de leurs travers mais ils savaient mieux que personne qu’ « oublier ses racines c’était perdre son âme ».

 Rodriguez Manuel
(de Sidi-Bel-Abbès)
m.rod@free.fr

 

RETOUR