Souvenir de la Téjéra ...
la table familiale :
Pendant l’été, les occasions de réunions familiales au cabanon ne manquaient pas. Pratiquement toutes les fins de semaine et surtout pour le 14 juillet ou le 15 août, arrivaient par vagues successives les aînés avec leurs enfants, quelques fois une ou l’autre tante, quelques cousins et cousines….. Dans un joyeux remue-ménage, après les bésitos d’accueil, chaque mini famille prenait sa place dans la chambre-dortoir en installant au pied du lit, son bagage, rapidement débarrassé de l’essentiel :les provisions, aussitôt rangées dans la glacière.
On retrouvait toujours les ingrédients de base : pollo, (poulet) conejo (lapin), magra (porc frais), qui finiraient en délicieuses frita, paëlla, ou sauce aux olives. Mais de toutes ces merveilles de notre cuisine la plus appréciée était sans doute le caldéro.. Surtout que faire le caldéro dépendait de la météo et de la générosité de la mer.
Au petit matin après un bain délicieux, dans l’eau limpide et fraîche de la crique pratiquement déserte, on attendait l’équipage (nombreux pour l’occasion) de « la sirène ». De retour de leur pêche de nuit, la fatigue et la joie se mêlaient dans leurs sourires. ENTONCES ??? (ALORS ??? )… Ben ça a bien mordu..
Il nous tardait de vérifier l’importance du
butin … Une fois hissée au sec, il fallait ranger le désordre qui régnait
dans la barque, opération pleine de danger à cause des hameçons entre autres et
que l’on regardait de loin pour éviter les calbotes.
La pêche était gardée dans un seau (un vrai cette
fois et réservé à cet usage) évasé et
profond, rempli d’eau de mer et recouvert d’un lourd tissu mouillé pour éviter la perte d’un poisson
gigotant encore. Les pêcheurs se rappelaient les moments forts de
la nuit : succession de commentaires sérieux et de rigolades, qui nous
permettait de participer un peu à l’expédition…De retour au cabanon, ils avalaient juste un « bocaïco »
(une bouchée), avant d’aller dormir, le reste de la matinée.
Commençait alors un long moment que j’aimais bien
et auquel j’étais souvent invitée parce que j’étais leste
paraît-il pour « nettoyer le
poisson » .
On s’installait, à l’ombre, assises sur des
« banquicos » (petits bancs) d’à peine 20cms, autour d’une cuvette en
fer blanc où on avait transvasé délicatement
le contenu du seau , poisson et eau de mer. Le seau était rempli à
nouveau d’eau de mer (ramenée dans une nourrice ) dans lequel on remettait le
poisson une fois écaillé et vidé.
Avec précaution on débarrassait d’abord « les
vives » de leur têtes et de leurs nageoires aux piqûres redoutables, ensuite venaient les
gros poissons dont les noms me reviennent tantôt en français tantôt en
espagnol, les pageots, les pagres, les sars, les védrias, les salpas, les
daurades grises, les moins gros, les vaches les séranos les rascasses, et
enfin les plus petits les demoiselles si colorées…les palomines argentées,
et j’en oublie sûrement….Il y en avait
certainement plusieurs kilos…
Parfois la pêche était enrichie d’un ou deux
« peignes » poissons plats (un peu comme une sole) d’un rose pale presque
translucide d’un goût si délicat qu’on le réservait toujours aux bébés de la
tablée. Je crois bien n’en avoir jamais retrouvé sur aucun étal…
La bassine vidée, j’ étais constellée d’écailles
jusque dans les cheveux. Les déchets gardés dans une boite fermée était
enterrés dans le sable, pour éviter les mouches, et
serviraient à la préparation du « bromedge » pour la prochaine pêche.
Après un dernier rinçage à l’eau claire, tout ce beau poisson était salé
avant d’être mis au frais.
La matinée, déjà bien avancée, commençait la préparation du caldéro : longue suite d’opérations que je n’ai jamais su mémoriser dans l’ordre rigoureux et immuable, que nécessite cette recette. La première difficulté consistait à faire revenir à peine quelques secondes dans l’huile très chaude, trois ou quatre belles ñoras épépinées, qui seraient ensuite pilées dans un grand « mortéro. ».Au dire de ma mère, le succès final dépendait de la réussite de ce premier geste.
La suite, tant de fois répétée, était exécutée avec tant de facilité et de rapidité qu’elle me semblait improvisée…. Devant sa cocotte ma mère déployait tout son talent. Une fois le poisson cuit, elle sonnait le rassemblement en criant « à table dans un quart d’heure » sachant parfaitement qu’il nous faudrait bien une demie-heure, pour réveiller les dormeurs, rassembler tout le monde, « mettre la table » couper le pain, préparer l’anisette etc…Tout en surveillant ces préparatifs par la fenêtre entre la cuisine et la véranda, elle choisissait le moment idéal pour la cuisson des nouilles. Comme par enchantement quand tout le monde était assis, elles étaient à point.
Pour faciliter le service, les femmes se passaient les assiettes de main en main. Les enfants étaient servis les premiers et à chaque assiette nouvelle ma mère rayonnante disait : « et ça c’est pour qui ? » « pour moi » répondait une petite voix à l’autre bout de la table « Alors pas beaucoup pour toi » … « ah non j’ai une grosse faim ». Quand arrivait mon tour, plus rien n’existait que le parfum et le goût unique de ce bouillon jaune orangé et je me régalais de ces pâtes,…. les plus savoureuses que, j’ai jamais mangées. L’assiette vidée, je ressentais comme un « petit incendie » dans la bouche. Un régal !! Il y avait toujours un deuxième service, avant d’attaquer le poisson…
Dès notre plus jeune âge on apprenait à manger le poisson, avec les doigts, et proprement, sous une surveillance discrète mais efficace le danger des arrêtes était vite surmonté et on devenait très rapidement autonomes… Laissant ainsi aux adultes le loisir de se régaler autant, sinon plus que nous…… Les pêcheurs, la cuisinière et les autres, tout le monde était ravi.
Mes essais n’ont jamais donné qu’une pale copie de caldéro. Ceux de mes sœurs sont bien meilleurs… Mais jamais aucun ne nous donnera le même bonheur que les caldéros du cabanon.
Aujourd’hui, on organise à grand renfort de publicité, dans les écoles de nos petits enfants, des semaines du goût !!… quelle misère…
Traditionnellement, le dessert qui suivait ces repas c’ était la pastèque. !!! Toute une cérémonie dont mon père était la vedette. On l’avait mise à rafraîchir dans l’eau glacée récupérée dans le tiroir de la glacière.. Elle arrivait sur la table ,énorme, pesant bien ses 15 kgs, toute brillante d’humidité, dans un grand plat en aluminium . Mon père, debout, découpait aux deux extrémités un chapeau chinois d’une dizaine de centimètre pour la maintenir plus facilement. Il goûtait un petit bout de chair rouge, avec une mimique qui nous faisait saliver par avance. Puis d’un large regard il comptait le nombre de convives : trente, trente et un, trente deux…Il se concentrait un moment et sans plus de repères il attaquait la découpe. Le pouce calé sur la lame du couteau à quelques centimètres de la pointe il traçait des tranches parfaitement verticales et régulières faisant tourner le plat pour garder toujours le même geste. Il prenait un plaisir évident à faire durer… La pastèque entièrement découpée, il ne se passait rien… pas une tranche ne bougeait…Alors de la pointe du couteau il dessinait un cercle sur le dessus et quand le suspense avait assez duré, il posait son couteau, et donnait un grand coup de poing sur la pastèque qui éclatait comme une énorme fleur rouge à trente deux pétales tandis que le cœur lui restait debout au milieu de plat. Un cri de joie saluait cet exploit, et aussitôt chacun venait chercher sa tranche qu’il tapotait sur le bord du plat pour faire tomber les pépites. On allait dehors pour manger enfin cette tranche si convoitée en se penchant pour que le jus sucré, qui dégoulinait de partout soit immédiatement absorbé par le sable. Ensuite on allait chercher, le dessert du dessert : un bout du cœur de pastèque encore meilleur que meilleur….
Les pépites, salées et séchées au soleil étaient le lendemain une dernière gourmandise. Je ne sais pas si cette méthode était très répandue, ce que je sais C’est qu’elle est toujours utilisée avec le même succès par tous les hommes de la famille.