Mon premier jour aux HLM ... 

 De notre arrivée à la Cité des Jardins, en janvier 1952, je garde un souvenir assez particulier.
Je venais d’avoir six ans et dans ce nouveau décor, tout me paraissait immense. D’abord la lourde porte d’entrée avec ses bandes verticales de verre cathédrale et son cadre métallique noir redoutable pour nos petits doigts. Puis le hall bordé sur la gauche d’une double rangée de boites aux lettres encore anonymes tout près de la porte de la loge du concierge.

En face l’escalier s’enroulait autour d’une cage d’ascenseur vide et sonore. Ses larges marches de graniteau qui faisaient un éventail dans les angles (et qui allait devenir un de nos futurs terrain de jeux), étaient protégées par un mur crépi Surmonté d’une rampe . Il nous conduisait chez nous. Cette première ascension me parut interminable avec l’impression de monter jusqu’au ciel. Autour de moi j’entendais des « encore deux étages mon dieu que c’est haut !!» d’autant plus impressionnants que je ne pouvais pas encore le vérifier par moi-même, mon regard atteignant à peine la hauteur de la rampe. Arrivés au quatrième étage, soulevée par un plus grand que moi j’ai vu par dessus le mur … un gouffre ... vraiment très impressionnant.

Une fois la porte ouverte, ébahi devant cet espace magnifique chacun passait d’une pièce à l’autre. Tout le monde parlait en même temps allant de merveille en merveille : c’était la cuisine, avec son chauffe-eau et sa hotte vitrée, les chambres qui semblaient si vastes , la salle à manger, la cheminée, la salle de bains et sa baignoire sabot, le cabinet les placards… tant de choses qui nous avaient manqué jusque là.

Venant d’un logement minuscule et sombre parce que niché sur les pentes du Ravin raz el Aîn; ce qui me surprenait le plus c’était le nombre et la taille des fenêtres. En effet, à l’exception du hall d’entrée et des WC, toutes les pièces s’ouvraient sur l’extérieur et le plus extraordinaire à mes yeux c’était les deux balcons. On y accédait par des portes-fenêtres dans la salle à manger et la cuisine et par une baie vitrée dans deux des trois chambres. La troisième chambre possédait une entrée directe sur le palier.

Très vite j’allais d’une fenêtre à l’autre pour voir dehors. La cité devait être encore un vaste chantier, mais je ne m’en souviens pas. Il me reste pourtant une image très nette de cette première soirée aux HLM.

La nuit tombée, l’orage qui menaçait depuis notre arrivée finit par éclater illuminant d’un seul coup toutes les fenêtres, d’une grande lumière aveuglante et bleutée. J’étais très impressionnée mais en même temps je me sentais en sécurité, à l’abri et bien au sec je me régalais de ce feu d’artifice, bien qu’à chaque coup de tonnerre je rentrais la tête dans les épaules en fermant les yeux, sans quitter mon poste d’observation dans la salle à manger.

Bientôt quelqu’un dit derrière moi : « ça yé c’est passé » ... En effet, l’orage s’éloigna lentement, laissant place à la pluie. De grosses gouttes crépitaient dessinant des rigoles ondulées qui dégoulinaient sur les carreaux . Je m’amusais à suivre leur descente du regard. Je restais là un grand moment à rêver quand soudain je vis quelque chose qui m’étonna beaucoup.

Sur le trottoir d’en face dans la lumière du lampadaire la pluie formait comme un entonnoir renversé dans lequel se déversaient des milliers de perles dorées. Très brillants sur le haut, ces rayons de moins en moins lumineux tombaient jusqu’au sol dans une tache claire où les gouttes semblaient danser comme des folles .J’ai regardé longtemps, le nez collé à la vitre, fascinée par ce spectacle comme s’il était magique et qui durait, qui durait pour mon seul plaisir Toutes ces gouttelettes de lumière qui brillaient dans la nuit, comme un rendez vous d’étoiles filantes c’était fantastique.

…. D’habitude il fallait lever les yeux pour voir tomber la pluie mais là, vue du quatrième étage cette image nouvelle était si belle qu’elle s’est imprimée dans ma mémoire d’une façon indélébile. Elle revient n’importe où, n’importe quand, il me suffit de baisser les paupières…si je veux retrouver ce doux moment de bien-être.

 

 Aline PEREZ du B8

 

RETOUR